3 questions à Emmanuel Durand, VP Marketing @ Warner Bros et auteur de « la Menace Fantôme, les industries culturelles face au numérique »

On parle beaucoup de data, comment opérationnellement vous travaillez ce sujet chez Warner Bros ?

Il est clair qu’un des gros enjeux du digital est autour de la data. Il va y avoir une séparation du monde entre les entreprises qui ont un écosystème qui leur permet de générer, traiter et utiliser des données consommateurs sur une base de clients existants – les GAFA en sont de bons exemples,  mais pas uniquement et les entreprises qui n’ont pas un accès direct à leurs consommateurs ou qui ont une taille ou une empreinte numérique plus faible. Pour ces derniers, la voie du partenariat me semble la bonne.

La data a cela de magnifique, c’est que quand on la donne on l’a encore. Donc on peut mettre en commun des infos, évidemment dans le respect de la vie privée et avec un encadrement juridique fort, pour créer des solutions ouvertes mieux-disantes que des solutions propriétaires, comme celles des GAFA.

En ce qui concerne la data, la vision propriétaire fermée ne sera valable que pour les très grandes entreprises. On peut aussi prendre en exemple, les sites internet qui ont longtemps cherché à enfermer leur audience et qui maintenant s’attachent à les suivre à l’extérieur notamment grâce à la data.

Ainsi, les grands groupes media ne vont à terme plus vendre de l‘inventaire dont la valeur tend vers zéro, mais de l’intelligence. De plus en plus,  nous avons des discussions avec des partenaires media, pour acheter de l’info et plus que de l’inventaire. Cette qualification de l’audience est le graal et nous l’avons « presque » à portée de main.

Chez Warner Bros, nous avons cette approche ouverte. Nous avons créé notre propre DMP qui est destinée à collecter des infos sur tous les points de contact du chemin d’engagement de nos consos ou futur consos : de la première bande-annonce visionnée, au tweet, à la page fan, au jeu concours, on essaie de capter l‘info sur qui est intéressé par nos contenus. On a une donnée d’ordre affectif très importante. Pour cela, nous avons tout à la fois une approche loguée via Mywarnerbros mais aussi une exploitation des cookies que nous agrégeons selon bien sûr les règles édictées par la CNIL.

Nous ne sommes pas dans une optique de retargeting, souvent ressenti comme intrusif mais plutôt  sur un modelé que je qualifierai d’« open netflix ». C’est-à-dire, que face à un historique de points de contact que nous avons sur un individu, nous cherchons à savoir quel sera le prochain contact que nous devons avoir avec lui et sans pour autant lui forcer le même contenu. On a développé 5 algorithmes autour des affinités de contenus à pousser.

 

Sur les algorithmes de recommandations, Olivier Schrameck, le président du CSA s’est récemment exprimé, car selon lui, ils présentent le risque d’enfermer l’utilisateur dans ses propres goûts au détriment de la découverte.

Olivier Schramek a à la fois raison et tort.

Raison, car à mon sens la création n’est pas soluble dans la data. Dans mon livre, je présente 2 types d’innovation : l’innovation disruptive et l’innovation d’amélioration. L’innovation d’amélioration, c’est par exemple, le passage du DVD au blu-ray, de 3D à la 4K. La data est un outil qui nous permet d’optimiser un système, c’est typiquement de l’innovation d’amélioration.

La création, c’est de l’innovation disruptive. La dimension de surprise est clé dans l’agrément quand on va voir un film. Quand on dit en sortant d’un film « je n’ai jamais vu ça, c’est la meilleure manière d’en dire du bien. La dimension rupturiste de la création n’est aujourd’hui pas réductible dans la data.

Là où il fait une erreur, c’est qu’il imagine que la data associe un genre avec un genre. Les algorithmes Netflix ou Warner sont plus poussés et basés sur des constructions de profil autour de choses qui n’ont rien à voir. On n’enferme donc pas les gens dans un univers dicté par les goûts du plus grand nombre.  Comme pour tout, il y aura ceux qui sauront bien utiliser la data et les autres…

 

Warner Bros, investit une part importante de son budget media en digital, quels en sont les grands enjeux ?

Le digital représente maintenant près de 40% de nos investissements media et cela va encore bouger.

La problématique que l’on a aujourd’hui avec la data, c’est  que cette sur-segmentation créé de tout petits bassins d’audience avec beaucoup d’affinité et peu de reach. Tout l’enjeu sera de tendre vers la massification et  l’équilibre avec le offline qui lui offre une excellente couverture mais est moins affinitaire.

La transparence est bien sûr au cœur de nos préoccupations. Nous travaillons en programmatique mais pas uniquement, puisque nous continuons à travailler avec Labellium sur une approche très « dentelle » et sur mesure, une dimension humaine dans nos campagnes et nos achats média. Mais on fait de moins en moins de display et de plus en plus de vidéo en preroll.

Nous envisageons, mais la décision n’est pas encore prise, d’internaliser notre propre DSP, dans la mesure où nous avons déjà notre DMP,  pour pouvoir ensuite passer des deals avec les 5 ou 10 plateformes d’importance. Cela nous permettra d’avoir un lien absolument direct et pas seulement automatisé pour nous faire gagner à la fois en transparence et en performance.

Après l’enjeu, est de rester en tête de flèche de l’innovation et les solutions internes peuvent nous endormir. Si je le fais, je laisserai cette DSP en concurrence avec d’autres,  pour que nous restions toujours en alerte.

 

  

« Pour retrouver le chemin de l’innovation et de la croissance, les entreprises du secteur culturel doivent renoncer à leur posture monolithique. Entrer dans le monde hybride qui est désormais le nôtre plutôt que dresser de vaines murailles réglementaires. En permettant à la multitude de participer à la création et au partage des savoirs, internet a aboli la frontière entre producteurs et consommateurs de biens culturels, et développé de nouveaux modes de création de valeur. Massivement adoptées par les individus, les nouvelles pratiques instaurées par le web 2.0 ne menacent pas l’existence du cinéma, de la musique ou des livres – aucun média n’a jamais tué ses prédécesseurs –, mais elles remettent en cause les logiques économiques qui ont dominé ces métiers jusqu’à présent. Loin de céder au catastrophisme ambiant, cet ouvrage propose quelques clés pour faire face à l’incertitude, pour apprendre à naviguer selon les nouvelles lois du monde numérique et à en relever les défis. »

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